En amont de l’élection présidentielle française de 2022, dont le premier tour aura lieu ce dimanche 10 avril, certains candidats ont précisé leurs positions sur la question du Tibet suite à une requête d’International Campaign for Tibet (ICT), de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
4 des 9 candidats contactés par les ONG ont exposé leurs positions sur la situation des droits de l’homme au Tibet, ainsi que la manière dont ils prévoyaient de traiter de/d’aborder cette question/ce sujet aux niveaux national et international si ils étaient élus.
Si tous ont dénoncé la répression chinoise à l’encontre du peuple tibétain et ont exprimé leur soutien à son droit à l’auto-détermination, certains ont aussi donné des exemples concrets sur la manière dont leur gouvernement contribuerait à la reprise du dialogue Sino-Tibétain ou s’attaquerait à la menace que fait peser la Chine sur la survie de la culture, de la religion et de l’identité tibétaine.
Bien qu’ICT ne puisse endosser de candidats ni participer à des campagnes électorales, les réponses reçues permettront d’informer les sympathisants de la cause tibétaine ainsi que la communauté tibétaine en exile en France – l’une des plus grandes en Europe – sur les positions de chacun concernant cette question qui les préoccupe grandement.
Les réponses de Nathalie Arthaud, Yannick Jadot, Jean Lassalle et Philippe Poutou sont disponibles ci-dessous. Anne Hidalgo, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Valérie Pécresse et Fabien Roussel ont également été contactés mais n’ont pas répondu. Certains candidats ont fourni leur position générale, tandis que d’autres ont répondu point par point à un questionnaire fourni par les ONG.
Position des candidats à l’élection présidentielle sur
la question du Tibet
Nathalie Arthaud – Lutte Ouvrière
Je tiens à vous exprimer ma colère et ma révolte face à la répression exercée par l’État chinois qui, en passant, n’est pas plus communiste que le Viêt-nam ou la Corée du Nord.
En tant que militante communiste révolutionnaire, je suis inconditionnellement en faveur du droit des peuples à l’autodétermination et je mène un combat qui entend permettre à tous les peuples de choisir librement leur destin et une vie digne.
Cependant je n’apporte aucun soutien politique au Dalaï-lama et au type de régime politique et social qu’il incarne. Je n’oublie pas que le Dalaï-lama régnait à la tête d’une théocratie féodale archi-réactionnaire qui s’appuyait encore sur le servage et l’esclavage, et dont l’abolition ne fut décrétée qu’après son renversement. Un tel courant réactionnaire ne peut, en aucun cas, représenter une perspective de libération pour les opprimés du Tibet ou d’ailleurs.
J’ajouterai que tant que les capitalistes du monde entier, les capitalistes français y compris, auront les yeux rivés sur les profits qu’ils peuvent tirer du marché chinois, les gouvernants – même ceux qui auraient pu prétendre le contraire pendant la campagne électorale – continueront d’ignorer le Dalaï-lama pour ne pas indisposer Pékin.
Yannick Jadot – Europe Écologie Les Vert
1. Comment évaluez-vous la situation des droits humains au Tibet (par Tibet nous entendons la Région autonome du Tibet ainsi que les comtés et préfectures autonomes tibétaines des provinces de Sichuan, Qinghai, Gansu et Yunnan), et quelles conséquences les violations systématiques des droits humains commises par le Parti communiste chinois (PCC) devraient-elles avoir sur les relations franco-chinoises ?
–> La politique chinoise au Tibet historique est une politique coloniale, violente et répressive depuis les années 50 : en 1950 l’armée chinoise a envahi le Tibet, en 1959 le soulèvement à Lhassa était réprimé dans le sang. La majeure partie de cette population soutient les autorités religieuses traditionnelles, notamment le dalaï-lama choisi avant l’invasion chinoise. La population tibétaine est devenue à peine majoritaire au Tibet, où l’enseignement du tibétain tend à disparaître faute d’enseignants et du fait de la politique éducative imposée par les autorités, la sinisation forcée menant à une disparition culturelle et linguistique.
La population tibétaine nomade et semi-nomade est déplacée de force et sédentarisée dans des villages nouveaux, où les conditions de vie ne lui permettent pas de survivre en raison de la perte de ses moyens financiers et de ses ressources. Les Tibétains peuvent pratiquer le bouddhisme vajrayana traditionnel, mais sous le contrôle étroit des autorités qui répriment toute référence au dalaï-lama. La répression est massive et violente, notamment par l’emprisonnement dans des centres de rééducation politique où les détenus sont torturés. Les Tibétains sont isolés du monde extérieur. Ils ne peuvent pour la plupart plus obtenir de passeport, notamment les moines novices qui se déplaçaient auparavant dans les communautés tibétaines de réfugiés ou d’exilés naturalisés indiens réparties sur le territoire indien, pour se former et apprendre le tibétain enseigné dans ces communautés. Les systèmes numériques et électroniques de surveillance et de répression modernes sont testés sur eux. Sans compter que la délation est encouragée et leurs lieux de résidence quadrillés par une surveillance humaine et électronique permanente.
Nous dénonçons cet état de fait. Dans nos relations avec la Chine, nous défendrons sans concession les principes démocratiques et les droits humains. Notre gouvernement refusera les contrats publics avec des sociétés impliquées dans la surveillance électronique et la persécution des Tibétains. Nous bloquerons également les importations de produits qui ne respectent pas les droits humains : la France portera la mise en place d’une réglementation européenne qui permette d’interdire l’accès au marché européen de produits fabriqués tout ou partie dans des zones où il existe du travail forcé ou du travail des enfants, incluant les entreprises qui font appel à des sous-traitants impliqués dans le travail forcé des Tibétains dans les usines.
- Rencontrerez-vous le nouveau Président du Gouvernement tibétain en exil (Administration Centrale Tibétaine) M. Penpa Tsering et/ou appellerez-vous les membres de votre gouvernement à le rencontrer ?
–> Sous notre gouvernement, l’administration française établira un contact régulier avec le bureau de la CTA (Central Tibetan Administration) installé à Paris. Le gouvernement français pourra proposer au gouvernement indien d’apporter un soutien concret et durable aux communautés tibétaines, qui sont établies du Sud au Nord de l’Inde, sous forme notamment de formation professionnelle délivrée aux jeunes Tibétains qui souffrent en masse du chômage et qui émigrent vers l’Union européenne. Nous pourrons également inciter le gouvernement indien à favoriser l’intégration administrative des réfugiés tibétains établis en Inde, pour la plupart de longue date, qui n’ont pas de situation légale. Il paraît souhaitable que la CTA participe à ces discussions et à l’élaboration des projets avec les différentes communautés tibétaines.
- Votre gouvernement sera-t-il favorable à la reprise du dialogue sino-tibétain dans le but de trouver une solution durable au conflit sino-tibétain et si tel est le cas, quelles mesures la France pourrait-elle prendre pour pousser le gouvernement chinois à retourner à la table des négociations?
–> Notre gouvernement sera bien entendu favorable à la reprise du dialogue sino-tibétain, comme le réclame le dalaï-lama, pour parvenir à une large autonomie du Tibet. Les mesures mentionnées en réponse à la question 1 auront je l’espère pour effet d’inciter la Chine à la reprise de ce dialogue.
- Quelles mesures prendrez vous pour contrer les interférences du gouvernement chinois dans la liberté de religion des bouddhistes tibétains – et en particulier son projet de sélectionner le prochain Dalaï-lama ?
–> Toutes les religions en Chine sont sous le contrôle du PCC, pas seulement le bouddhisme vajrayana. Cependant, nous sommes pour la séparation des clergés et de l’Etat, aussi la sélection du dalaï-lama doit être une affaire interne au clergé monastique dans laquelle le PCC ne doit pas intervenir. Toutefois, à l’instar des autres religions (comme les deux Eglises catholiques en particulier), notre gouvernement dialoguera avec toutes les autorités religieuses élues ou désignées.
- Comment évaluez-vous l’impact du PCC sur le système international de protection des droits de l’homme ? Soutiendrez-vous la création d’un mécanisme indépendant des Nations Unies chargé de se pencher sur les violations des droits humains commises par le gouvernement chinois comme recommandé par 50 experts des Nations Unies en juin 2020?
–> La Chine ne reconnaît pas le système international de protection des droits de l’homme, et souhaite imposer le sien dit de souveraineté. Il est donc urgent de mettre en place un tel mécanisme, d’autant que la Chine a déjà pris la présidence de plusieurs organismes de l’ONU. Il sera ensuite important de faire circuler ce rapport.
- De quelle manière votre gouvernement prévoit-il de s’attaquer au problème du non-respect des droits des Tibétains lors de la mise en œuvre de politiques environnementales, climatiques et de développement que soit au niveau bilatéral ou multilatéral ?
–> L’impact humain et environnemental des projets mis en œuvre en Chine devra être évalué par la France avant tout investissement d’entreprises publiques françaises ou d’entreprises privées subventionnées par l’Etat français. L’extraction de métaux rares, si polluante au Tibet et en Mongolie intérieure, devra faire l’objet d’un étroit contrôle par les instances européennes pour en diminuer les nuisances, toutes les fois où cette extraction sert à des usages européens (le numérique et les smartphones en particulier). Nous plaiderons également en faveur d’une directive européenne ambitieuse imposant un devoir de vigilance aux entreprises multinationales en matière de respect des droits humains, sociaux et environnementaux dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Jean Lassalle – Résistons
Le candidat Jean Lassalle défend l’indépendance des peuples et il est très sensible à la cause du peuple tibétain.
Il est favorable à la reprise du dialogue sino-tibétain dans le but de trouver une solution durable au conflit sino-tibétain.
C’est pourquoi il sera très engagé, lui et son gouvernement, dans des discussions sur leurs droits et sur leur place sur la scène internationale et souhaiterait rencontrer le nouveau Président du Gouvernement tibétain en exil, M. Penpa Tsering.
Des mesures concrètes seront discutées et prises en collaboration étroite avec le Président tibétain.
Jean Lassalle défendra des droits de l’homme et rappellera les enjeux de ce combat au niveau des Nations Unies.
Philippe Poutou – Nouveau parti anticapitaliste
Comme il semble improbable que Philippe Poutou sois élu président de la République française, nous nous contenterons de présenter ce pourquoi nous combattons. Nous devons aussi reconnaître que nous n’avons qu’une connaissance limitée de la situation actuelle au Tibet (dans votre acceptation du terme) sous occupation chinoise.
Nous défendons le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit d’autodétermination. Pour les tibétains, donc, ainsi que pour les autres peuples concernés dans l’espace d’expansion chinois, Ouïgours compris.
Le peuple tibétain ne semble pas soumis à des violences aussi extrêmes (génocidaires selon certains) que les Ouïgours, mais nous craignons que l’oppression sociale, nationale et religieuse à laquelle il est soumis ne se soit qualitativement aggravée sous Xi Jinping.
Le haut plateau tibétain a toujours été, aux yeux de Pékin, une région clé d’un point de vue géostratégique : elle commande notamment la longue frontière sino-indienne dont le tracé reste parfois contesté et qui est le théâtre de tensions militaires récurrentes. Cette importance se voit aujourd’hui accrue du fait du réchauffement climatique, le contrôle de l’eau et des sources de fleuves qui irriguent l’Asie du Sud et du Sud-Est devenant un enjeu déterminant. Par ailleurs, le développement des infrastructures de transports (autoroutes, trains à grande vitesse) en Chine a facilité la mise en œuvre d’une véritable politique de colonisation de peuplement au Tibet. Cette politique signifie l’intégration forcée au nouveau capitalisme d’Etat chinois, avec l’appui d’une administration aux ordres. Aucune autonomie politique n’est accordée à la Région autonome du Tibet, qui reste soumise au contrôle des autorités chinoises.
Nous ne connaissons pas l’actuelle structure sociale du Tibet, mais elle semble en évolution rapide, conditionnée par la logique coloniale propre au capitalisme chinois : exode rural forcé, constitution d’un prolétariat sans droits, surexploitable, exportation dans d’autres régions du pays d’une main d’œuvre vers des emplois sous-payés (textile, construction…). Nous craignons aussi que le coût écologique des nouvelles « routes de la soie » chinoise ne soit très élevé et ne prive le peuple tibétain de son droit à un environnement sain.
La volonté, proprement grotesque, du régime chinois de choisir qui sera la prochaine « réincarnation » du Dalaï-Lama montre jusqu’où les droits religieux des Tibétains peuvent être niés.
Nous nous réclamons du socialisme, du communisme, et de la tradition léniniste en matière de droits à l’autodétermination. Ce droit était reconnu dans la Constitution de 1931 (celle des « soviets » constitués par le PCC), il a été foulé aux pieds. Dans son « testament », Lénine avait dénoncé le chauvinisme Grand’ Russe. Nous dénonçons de même le chauvinisme Grand’ Han, dont les communistes tibétains ont d’ailleurs été eux-mêmes les victimes. Ainsi, Phuntso Wangye, qui avait fondé le Groupe communiste tibétain en 1939, a été purgé en 1957 et emprisonné dix-huit ans en compagnie de nombre de ses camarades.
Le gouvernement en exil de Penpa Tsering constitue la seule représentation tibétaine sur le plan international, même si le parlement n’est élu que par les Tibétains en exil et s’il n’est formellement reconnu par aucun pays. Nous en sommes conscients. Le Dalaï-Lama ne prônait pas l’indépendance, mais une autonomie au moins comparable à celle dont a bénéficié par le passé Hong Kong dans le cadre « un pays, deux systèmes ». Malheureusement, Xi Jinping a brutalement et unilatéralement dénoncé cet accord et il ne reste aujourd’hui plus rien des (relatives) libertés politiques et civiques qui avaient été accordées sur le tard aux Hongkongais. En Chine même, la « société de surveillance » est plus développée que partout ailleurs par un régime de dictature orwellienne. L’heure n’est pas au compromis, d’autant plus qu’aucun Etat « de poids » n’est prêt à engager un bras-de-fer avec Pékin en sa défense.
Notre champ d’action n’est pas la diplomatie, mais la solidarité internationaliste. Nous poursuivons des campagnes de solidarité que nous voulons aussi efficace que possible, y compris en Asie. Nous n’avions aucun lien en Birmanie, mais nous sommes néanmoins mobilisés dès les lendemains du putsch militaire du 1er février 2021 et nous continuons à le faire aujourd’hui. Nous devons cependant reconnaître que nous n’avons pas réussi à faire de même pour le Tibet. Le peuple tibétain est soumis par le régime chinois à une domination coloniale qui nie ses droits les plus fondamentaux, sociaux et politique, culturels et linguistiques, environnementaux, sa liberté de culte et de croyances… Il mérite d’être soutenu dans cette épreuve et nous vous remercions d’assurer avec constance ce soutien.